Comment avait-il pu se fermer les yeux tout ce temps? Comment avait-il pu ne pas s’en rendre compte? C’était effarant, horrible, un cauchemar. Il n’arrivait pas à le croire. C’était impossible, une telle chose n’avait pu se passer, sous le nez de tout le monde. Non, il y avait forcément une autre explication, il ne pouvait se résoudre à une telle horreur. Voilà pourquoi, en ce début d’après-midi, il allait cogner doucement à la porte de ce bureau, son bureau. Le bureau de Lukas, son frère adoptif, en espérant l’y trouver, sachant qu’il ne travaillait pas souvent. Il fut surpris de sentir la porte s’ouvrir alors qu’il tournait la poignée dans un espoir vain. Il était dans son bureau pour une fois. Un tel miracle l’aurait rendu heureux normalement, mais dans une telle situation, il ne pouvait possiblement l’être.

Même lui ne pouvait afficher un sourire avec un tel doute dans l’esprit. C’était la veille, il était resté levé tard, enfin tard pour lui petit comptable sans vie sociale notable, pour une autre affaire de compte qui ne balançait pas. En se rendant à ses quartiers dans la grande maison familiale plongée dans l’obscurité, il était passé comme à son habitude devant la chambre de la petite dernière. Il entendit alors des éclats de voix, ce qui était chose rare. Il ne sut ce qui lui prit de s’arrêter, d’écouter. Il n’aurait probablement pas osé normalement, mais ce soir-là, il le fit. Ce qu’il entendit lui fit l’effet d’un coup de poing plein de malaise à l’estomac. Bien qu’il ne voyait rien dans la petite ouverture entre la porte et le cadre, il n’eut aucune difficulté à reconnaître la voix de Lukas lorsqu’elle prenait les accents pleins de mépris et de haine qu’il leur réservait en privé. Rien d’étonnant là… À part le fait qu’elle provenait de la chambre d’Aimee. Mais ce n’était pas le pire. Les mots qu’il entendit le glacèrent d’effroi. Des menaces de choses horribles, bien pires que ce qu’il lui faisait subir. Avait-il mal entendu? Venait-il de menacer de d’un tel acte? Son premier réflexe, lâche et stupide avait été de nier et de s’éloigner rapidement. C’était Lukas, c’était un psychopathe, il le savait. Mais Aimee était sa sœur. Non, il devait dire simplement cela pour lui faire peur. Voilà, il ne ferait jamais une chose pareille. Connor s’en convainquit pour une nuit, pour se permettre de pouvoir fermer l’œil.

Ce faux espoir ne dura pas longtemps. Lorsqu’il vit sa petite sœur le lendemain matin, il eut le sentiment que cela s’était passé. Il ne savait pas pourquoi. Mais ce pressentiment ne le lâchait plus. Lukas pouvait faire une telle chose, il venait de s’en rendre compte. C’était le genre d’acte de haine auquel il pouvait se livrer. À la seconde où cette pensée lui traversa l’esprit, une colère l’emplit, mêlée avec une incompréhension sans nom. Comment avait-il pu faire une telle chose? À sa propre sœur? Il faisait tout pour sa famille, comment est-ce que son aîné pouvait l’haïr à ce point? Depuis combien de temps ces atrocités avaient lieu? Il n’avait presque pas envie de savoir. Mais son ire remplaça son courage, lui permettant de se rendre jusqu’à son bureau sans se dégonfler, ce qui était déjà un exploit.

Toute cette belle confiance fondit à la seconde où la porte du bureau de celui-ci s’ouvrit devant lui. Il déglutit, son instinct lui indiquant de se sauver à toute jambe. Depuis sa plus tendre enfance il avait appris que rester avec le plus vieux des Bang était très dangereux. Mais même après qu’il l’ait poussé dans les marches, il avait gardé le silence, imaginant le désespoir de ses parents adoptifs lorsqu’ils apprendraient que leurs enfants se détestaient entre eux. Cependant, cette fois, il ne pouvait rester sans rien dire. Il ne pouvait faire comme hier, où il avait délibérément fermé les yeux. Alors qu’il entrait dans la grande pièce, il se rappela qu’il avait pris ce fusil. Leur père leur avait tous appris à tirer. Chacun d’eux avait son arme personnelle, mais lui ne s’était jamais servi de la sienne, il n’avait pas la vocation. Mais cette fois, il l’avait pris. Pour se sécuriser peut-être? Pour avoir le courage d’affronter son cauchemar de grand frère. Le son de la porte qu’il fermait lui-même le fit sursauter, à son grand désarroi. Il avait l’air d’un petit rongeur apeuré, pas de quelqu’un qui venait réclamer des explications… Ou de la justice? Il ne savait même pas lui-même. Si avant d’entrer, il n’était pas sûr qu’il ait pu le faire, abuser et violer leur sœur, en le voyant, il fut presque sûr. Une question restait, pourquoi? Comment pouvait-on être un tel monstre? La question sortit quasiment toute seule d’entre ses lèvres qui tremblotaient sous l’effet d’une colère qu’il n’était pas habitué d’avoir : « C’est ta sœur! Notre sœur! Comment t’as pu faire ça? » Il n’osait même pas dire ce dont il le soupçonnait, cela le dégoûtait trop. Alors qu’il prenait quelques pas vers lui, il se rendit compte que ses poings serrés tremblaient également. Mais quel échec, en partant. Comme si Lukas allait prendre la peine de lui expliquer, celui qui avait tenté de passer sur lui en voiture, à quoi avait-il pensé? Pouvait-il réellement venger Aimee? Elle qui ne voulait même pas de son aide? Il n’y croyait pas lui-même. Cependant, lorsque le trésorier se rappela du poids de l’arme dans sa poche, et il se calma, un peu.

yo.linge.

Parfois, son père lui laissait le loisir de s'occuper de quelques affaires pour le familiariser avec le milieu. Il faisait son travail de son côté, retiré dans un bureau dont il avait lui-même décidé de l'aménagement et de la décoration pour ensuite aller porter le résultat à son paternel une fois le tout achevé. Certes, ce n'était jamais des trucs de la plus haute importance mais Lukas prenait toujours les tâches à cœur pour ne pas se planter et faire douter son papa sur ses capacités à le remplacer. Cette place lui revenait et il bossait d'arrache-pied pour la conserver. Bien que le seul autre homme de la famille ne risquerait pas de la lui subtiliser. Connor était un type incroyablement mou et qui lui faisait hautement pitié. Sa simple existence était d'un ridicule même. Autant ne pas y penser pendant que ses yeux parcouraient une feuille avec attention, annotant de temps à autre quelques mots dans la marge. Sa concentration fut rompue par un bruit contre la porte de son bureau. Lentement, son regard quitta ce qu'il faisait pour se relever en direction de l'entrée, laissant entendre une autorisation sèche et froide à entrer. Le simple fait que quelqu'un osait venir le perturber dans son boulot l'irritait au point qu'il avait dû lutter avec l'envie d'insulter l'intrus. Il devait faire attention sur le milieu de travail afin d'éviter les mauvaises relations avec les employers. Ce n'est qu'en reconnaissant Connor qu'il laissa entendre un long soupire en hochant la tête de gauche à droite, fermant les yeux une seconde avant de retourner son attention à ce qu'il faisait sans même lui demander ce qu'il voulait. Quel boulet inutile qui venait le déranger pour, très certainement, une broutille débile.

Encore une fois, la pointe de son stylo vint écrire quelques mots courts et précis dans la marge blanche de la feuille, ignorant complètement la présence de son frère cadet. Ce dernier aurait pu crever devant son bureau que Lukas n'aurait pas bougé le moindre petit doigt. En fait, ça l'aurait bien arrangé puisqu'il n'avait jamais réussi lui-même à l'éliminer par un moyen subtil qui ne semblerait pas trop suspect, apportant des preuves évidentes contre lui. « C’est ta sœur! Notre sœur! Comment t’as pu faire ça? » Woah. Qu'est-ce qu'il avait à s'énerver comme ça ? D'un geste raide, l'aîné déposa la feuille à plat contre la surface du bureau, redressant le dos dans sa chaise en jetant un regard meurtrier à son frère. Bang n'était pas idiot ; il se doutait très bien de quoi parlait Connor mais n'avait pas envie de savoir comment et pourquoi il était au courant. Qu'il le soit lui importait peu, ce qui le dérangeait était plutôt le fait qu'il venait l'emmerder au bureau avec ça. « T'as pas mieux à faire, Bouboule ? » Non, Lukas n'était pas d'humeur à se faire chier avec des mélodrames douteux – et ne l'était jamais d'ailleurs. Plus vite il finirait son travail et irait le faire vérifier par son père, plus vite il pourrait partir voir si Mei allait bien et peut-être profiter un peu de son amant qu'il n'avait pas vu la veille puisqu'il avait été occupé à devoir rappeler à sa plus jeune sœur qu'elle avait intérêt à marcher la tête basse quand il passait.

Ne bougeant pas de sa position assise dans sa chaise, le blond attendait patiemment que l'être superflu disparaisse de son champ de vision mais ce dernier ne semblait pas résigné à se bouger, poussant Lukas à froncer le nez dans un geste de dégoût. Il s'attendait à quoi ? À jouer les princes charmants pour Aimee ? Ce qu'il était d'un grotesque particulièrement amusant le dodu. « Tu te sens pas un peu débile ? Elle en a rien à foutre de toi. Pourquoi t'essaies de la défendre ? » Parce que, oui, Bang avait très bien remarqué le manque de confiance totale dont elle faisait preuve envers le jumeau mâle et à quel point elle n'avait point l'air d'apprécier ses tentatives d'aide. Par contre, jamais l'idée dont il était le principal responsable de ce caractère ne lui avait effleuré l'esprit. Lukas était, à ses yeux, un être parfait et ce Connard l'agaçait déjà beaucoup trop alors qu'il n'était même pas là depuis plus de cinq minutes.

Au moins, son aîné avait vite compris de quoi il parlait, sans lui demander plus d’explication. Il n’aurait probablement pas été capable de le dire, il pensait que ce serait le genre d’humiliation qui faisait rire le concerné. Mais celui-ci, au regard qu’il lui avait lancé en se rendant compte de sa plaisir, semblait juste irrité de sa présence. Il ne savait pas ce qui était le moins pire entre ça et lorsqu’il était d’humeur plus belliqueuse. Les deux se valaient, la seule pause possible avec lui c’était lorsqu’il s’en allait. Il le dérangeait, Lukas était simplement dérangé dans son emploi du temps, alors qu’ils parlaient du viol de sa sœur. Cela ne le troublait pas outre mesure, il n’était pas paniqué, pas coupable, pas angoissé, rien. Juste agacé d’être dérangé pour une bagatelle. Une bagatelle, un contretemps, voilà tout ce que c’était pour lui. Connor se demanda s’il avait vraiment affaire à un être humain en ce moment. Comment pouvait-on être aussi insensible aux autres? D’avoir un quelconque trouble, maladie n’aurait été qu’une excuse. Autant qu’il essayait de le nier, Bang Lukas était une exécrable personne. Mais il était encore son frère. Et Aimee sa sœur.

N’avait-il pas peur qu’il le dénonce? Ou savait-il que le jeune homme adopté n’aurait jamais le courage de briser la fausse harmonie de la famille Bang? Il était mou, c’en était affligeant. Ils avaient raison. Il n’était pas celui qu’il fallait pour aider Aimee, clairement. S’il se sentait débile? Bien sûr qu’il se sentait débile. Mais il continuait d’essayer, stupidement, parce que c’était ce qu’il faisait. Comment Lukas faisait-il? Pour réussir à toujours trouver le moyen de le déstabiliser? Il ferait un parrain de la mafia extraordinaire, sans doute. Il avait bien hâte qu’il utilise son talent sur les bonnes personnes. Alors que le jeune Bang tentait de se justifier il sentit que le tremblement de sa lèvre inférieure avait repris : « Je… C’est ce qu’on fait pour sa famille. »Elle ne voulait rien savoir de son affection ou de son aide, mais lui l’aimait par défaut, car c’était ainsi que les choses devaient se dérouler. Cependant, il avait prononcé cela presque comme une question. C’était sa conviction profonde, pourquoi en était-il soudainement si peu sûr? Ce n’était pas le moment d’hésiter ou d’être trop émotif, ce n’était pas le temps de montrer aucune faiblesse, pas devant son aîné. Mais d’imaginer tout ce que la cadette endurait, sans rien dire, refusant l’aide des autres, cela le prenait au ventre, lui tordait les entrailles. Comment ne pouvait-il pas être affecté? Plus le temps passait, plus cela le troublait, plus cela venait le chercher, il ne pouvait garder sa contenance devant une telle chose.

Connor fronça les sourcils, tentant de se convaincre qu’il était impressionnant. Lukas était son frère, oui, mais ce qu’il faisait était inhumain et d’une horreur sans nom et il ne pouvait rester là sans rien faire. Il lui ordonna alors, sans penser que Lukas ne l’écouterait ne serait-ce une seconde : « Je veux pas savoir depuis quand ça dure, mais ça doit cesser. » Comment le convaincre? Comment les gens se faisaient-ils respecter, il n’en avait aucune idée. Déjà que les gens normaux le considéraient comme une carpette, avec son frère adoptif c’était cent fois pire. Il tenta de penser à ce que les gens de la familia faisaient. La réponse se présenta dans sa poche. L’arme, la violence, voilà comment ils faisaient. Cela ne lui était jamais venu naturellement. Mais penser à quel point la vie d’Aimee avait été gâchée par quelqu’un qui ne sourcillait pas en en parlant. Il n’arrivait pas à croire qu’il devait s’abaisser à un tel acte. Il avait déjà honte. S’emparant du fusil, il visa la tête de l’aîné à son bureau. À cette distance, aucune chance de le rater, le cran de sûreté était retiré. Était-ce une réaction inappropriée? Contre quelqu’un qui les menaçait, harcelait, blessait, qui violait la plus jeune, peut-être pas. Il voulait l’intimider, il n’avait plus aucun autre moyen. Mais qu’arriverait-il s’il refusait? « Je peux tirer. Tu le mérites. », affirma-t-il pour se convaincre. Après tout, s’il voulait aider Aimee, peut-être fallait-il se débarrasser de Lukas? Ses parents seraient détruits, peut-être se ferait-il prendre. Mais était-ce le genre de courage qu’il devait fournir, pour une fois dans sa vie. Il tenta de contrôler ses tremblements, pour garder sa visée. Il devait rester calme, imiter cet aîné monstrueux, totalement froid devant la souffrance. Mais il n’en était pas capable. Ce n’était pas les conséquences, c’était l’acte tout simplement. Son doigt refuserait d’appuyer sur la détente. Ses tremblements deviendraient incontrôlables, il se connaissait. Il serra les dents. Il ne serait jamais capable d’une telle chose, espérant que son frère adoptif n’ait pas aussi compris ce fait.

« Je… C’est ce qu’on fait pour sa famille. » Petit naïf. Les familles ne sont pas toutes parfaites, la leur ne l'était pas, loin de là. Vue d'un œil extérieur, elle pouvait en avoir l'air – ou même vue par les parents – mais la réalité des choses était tout autre. Elle aurait pu l'être si aucun des trois autres adoptés n'avaient été présents. Peut-être que si ça avait été le cas, Lukas ne serait pas ce qu'il était à présent. Peut-être serait-il plus sensible à ses gestes. Mais voilà que l'aîné de la famille était né pour être enfant unique et la présence d'Aimee, Brittany et Connor venaient se glisser dans son quotidien jour après jour. « Tu me fais presque pitié. » Son expression de dégoût ne quitta pas son visage, méprisant l'être tout entier que représentait son seul frère. Il essayait aveuglement de porter une aide à la cadette qui n'avait rien demandé et pourtant, est-ce que quelqu'un d'autre en ferait autant à sa place ? Peut-être Brittany mais sûrement pas Aimee. Cet imbécile tentait de porter secours à une fille qui ne lui rendrait même pas le tiers de son geste. « Je veux pas savoir depuis quand ça dure, mais ça doit cesser. » Lukas défronça le nez, affichant un visage inexpressif en haussant simplement un sourcil. Pour qui se prenait-il ? Croyait-il vraiment qu'en disant ces simples mots, le blond cesserait de s’en prendre à la cadette ? Décidément, son monde n'était que papillons et poneys et, bien vite, celui-ci risquerait de s'écrouler avec dureté pour laisser paraître la réalité. Un « mais bien sûr, maître » tout ce qu'il y a des plus ironiques lui échappa alors qu'il s'emparait de nouveau de son fidèle crayon pour retourner à son travail.

Toutefois, une arme attira son attention, l'empêchant de baisser le regard vers la feuille dont il s'occupait quelques instants plus tôt. Lukas regarda son cadet pendant de longues secondes, se demandant bien ce qu'il foutait avec ça dans les mains puisqu'il ne l'avait jamais aperçu s'en servir auparavant. « Je peux tirer. Tu le mérites. » Bang pouvait pratiquement lire la nervosité dans son regard, chose qui le fit lutter avec l'envie de rire, tout simplement. Ses épaules trahirent sa tentative de garder son sérieux et il craqua dans un rire léger mais qui était entièrement provoqué par Connor. Jamais celui-ci n'aurait le courage de poser un tel geste, il en ferait des cauchemars pour le restant de ses pauvres jours. Le blond cessa de rire avant de pointer son stylo dans la direction du plus jeune. « C'est très certainement l'une de tes meilleures blagues. Maintenant, range ça avant de te faire mal. » Non pas que Lukas souhaitait réellement que son cadet ne se fasse pas mal – bien au contraire – mais un accident était si vite arrivé.

Sauf que le brun ne bougea pas, restant planté devant son bureau avec son arme pointée dans sa direction. S'il croyait intimider l'aîné de cette façon, c'était raté puisqu'il ne se sentait nullement en danger. Jamais Connor n'aurait le courage d'appuyer sur la détente. Le blond roula des yeux en soupirant, déposant une nouvelle fois son stylo sur la surface lisse dans un geste sec qui laissa entendre le bruit net du contact brusque entre l'objet et le bureau. « Ne m'oblige pas à traverser de l'autre côté de mon bureau. Tu risquerais de le regretter. » S'il n'avait pas eu l'intention de se lever de sa chaise avant, c'était désormais devenu dans ses plans si cet empoté ne se décidait pas à sortir et refermer la porte derrière lui en partant. C'était à la fois une menace mais aussi un avertissement très clair que les choses prendraient une tournure beaucoup plus sérieuse s'il continuait à se la jouer héroïque avec lui.

Il avait ri. Connor pointait une arme à feu sur lui. Et son frère riait. Ce n’était pas une carapace, ni un réflexe de défense, il ne se sentait tout simplement aucunement menacé par lui, armé d’un fusil ou pas. Était-il si risible? Son aîné, un stylo à la main, était déjà plus intimidant. Comment cela se faisait-il? Était-ce de sa faute? Ou était-ce Lukas qui le terrorisait tout simplement? Les deux probablement. Une blague, tout cela était si drôle? Cela lui avait pris tout son courage pour simplement le confronter, un bonus pour sortir cette arme, pourquoi rien ne marchait comme il le souhaitait? N’y avait-il rien qu’il puisse faire pour tout arranger, pour que tout le monde s’entende? Le jeune trésorier fit vigoureusement non de la tête lorsque le blond lui ordonna de ranger son arme. Pas question qu’il laisse tomber comme ça. Il devait convaincre Lukas qu’il pouvait très bien tirer. Se convaincre lui-même par la même occasion. Faire exprès de viser à côté? Mauvaise idée. Cela serait comme un signal pour que son aîné le taille en pièce. S’il tirait, il devait s’assurer que ce soit sur lui. S’il tirait oui.

Ce pourquoi il ne lâchait pas le flingue. Cela ne troubla pas son interlocuteur, qui était légèrement agacé encore, rien de plus. Il avait une arme braquée contre lui, pouvait-il réagir normalement pour une fois? Non, probablement pas. Ses réactions inhumainement imprévisibles le rendaient dangereux bien plus que n’importe qui qu’il lui avait été donné de connaître dans la familia. Les menaces vinrent finalement de l’autre bord du bureau. Connor se sentit frissonner, même s’il se répétait que ça n’avait aucun sens. On ne menaçait pas celui qui avait l’arme, ça ne se faisait pas. Il était celui qui était supposé dicter les conditions ici. Le brun fit un pas vers l’arrière en tentant de durcir son expression. Il devait le faire. Quelqu’un devait lui faire face, au moins essayer. Parce que ça ne pouvait continuer comme ça. Lui ça allait. Mais pas ses sœurs, il n’avait pas le droit de leur faire une telle chose. Tire. Tire, se répétait-il. S’il voulait tirer, c’était maintenant. Avant qu’il se lève, il n’avait pas le choix. Son cœur sembla oublier un battement alors qu’il pensait à appuyer sur la gâchette. Ce n’était pas son frère, enfin, son aîné n’avait jamais voulu le reconnaître, pourquoi aurait-il des scrupules? Il n’était pas obligé de le tuer, simplement le blesser…

Ce fut son autre erreur, son autre faiblesse. À la seconde où ce compromis lui traversait l’esprit, il sentit le canon de l’arme qui s’abaissait un peu. Lukas ne le manquerait pas, il en était certain. Il avait maintenant la certitude qu’il était trop stupide et mou pour tirer. Un instant à peine pour redresser sa visée, mais il était trop tard. Cela se vit à son expression dans laquelle la déception et la peur passèrent avec une clarté qui n’était pas à son avantage. « T’approche pas ou je tire! », protesta-t-il presque pitoyablement. Ce n’était même plus une question de vouloir le menacer. Il savait ce dont l’aîné des Bang était capable, encore plus depuis la veille, s’il y avait quelque chose qu’il ne voulait pas, c’était que celui-ci se lève de son bureau. Connor savait qu’il le regretterait amèrement. Il savait que toute résistance aux mauvais traitements de Lukas était repayé au double, il avait toujours encaissé en tendant presque l’autre joue. Mais cette fois, il priait presque pour une intervention divine. Peu importe quoi, quelque chose qui lui donnerait enfin le courage de lui tirer dessus. Mais jamais il n’avait été aussi chanceux.

La peur aurait dû être là. Il aurait dû ressentir cette crainte engendrée par la présence d'une arme à feu pointée dans sa direction, le menaçant. La frayeur de se retrouver blessé ou tué aurait dû le tirailler, l’inquiéter au point de se taire et écouter ce qu'avait à dire son frère mais la réalité ne ressemblait pas du tout à ça. L’inquiétude ou la panique ne faisaient pas partie de ses émotions du moment qui n'étaient qu'un mélange d'irritation et d'agacement. Connor n'aurait jamais le courage de faire du mal à l'aîné et, par conséquent, ils perdaient leur temps tous les deux. Les gamineries du plus jeune n'avaient pas leur place dans ce bureau, encore moins à cette heure-ci quand il avait presque achevé sa part de boulot et qu'il était bientôt libre de pouvoir aller manger avant de décider de ses plans du restant de sa journée et soirée. Le simple regard du brun était un véritable livre ouvert sur ses émotions d'être faible et peu à sa place dans ce genre de milieu. L'hésitation, la peur, le temps qu'il mettait à passer à l'action, tout ça n'étaient que des indices sur le fait que son doigt n'appuierait pas sur la détente. Lukas s'était même attendu à ce que ce dernier se résigne à s'en aller après son avertissement mais le contraire se produit et, mine de rien, ça l'étonna un peu. Pas de quoi en faire tout un plat ou le déstabiliser, bien sûr.

« T’approche pas ou je tire! » Pour une nouvelle fois, le blond haussa un sourcil, cette fois sceptique, à l'égard de son cadet. « Bien sûr, je te crois. » Ses mains se posèrent à plat sur la surface de son bureau pour lui donner un appui inutile alors qu'il se levait de sa chaise, ne lâchant pas son frère du regard, affichant une expression qui en disait très long sur les événements à venir. La rigolade était terminée et s'il refusait de lui foutre la paix de son propre chef, Lukas se ferait un plaisir de la sortir de la pièce par ses propres moyens. « Mais si jamais tu as le courage de tirer, ne me rate pas parce que, moi, je ne te raterais pas. » Parce que Connor était bien idiot s'il croyait que les tiroirs de son bureau ne renfermaient pas une seule arme pour le défendre en cas de problème. L'aîné savait s'en servir. Ce n'était pas son domaine mais viser et tirer étaient dans ses cordes pour l'avoir déjà pratiqué un peu comme tous les autres enfants de la famille. Pour le moment, le jeune homme ne vit aucun intérêt à en prendre possession puisqu'il ne se sentait nullement en danger mais il savait où en trouver une si la situation le requérait.

Malgré son visage d'ange adorable, il n'en avait aucunement le caractère ou le comportement. Ses pas longèrent le bureau pour le contourner et s'approcher de son frère, sachant pertinemment qu'il n'oserait pas lui loger une balle dans le corps. Même par accident, l'adopté serait incapable de réussir ce geste. La présence du flingue entre eux ne le dérangea pas et sa main trouva naturellement le moyen d'agripper le col du vêtement que portait son frangin, le tenant avec une fermeté qu'on ne lui croirait pas posséder. « Dernier avertissement : lâche cette arme. » Appuyant ses mots, sa poigne se solidifia, témoignant qu'il ne plaisait pas même si le geste était un peu futile puisque le brun était assez bien placé pour savoir que Lukas n'était pas du genre à rigoler ou faire des menaces qu'il ne tenait pas. Il les tenait même un peu trop bien.

Personne ne le croyait, qu’il pouvait tirer. Pourquoi était-il venu? Comment avait-il cru pendant ne serait-ce qu’un moment qu’il pourrait le faire changer d’avis, le convaincre d’arrêter alors qu’il les maltraiter depuis qu’il en avait la capacité. Imbécile de Connor qui s’est pris pour un autre, encore une fois, il avait cru pouvoir affronter plus fort que lui, et bien vite il s’était rendu compte de son erreur. C’était ridicule. Il avait presque envie d’en rire lui aussi maintenant. Peut-être était-ce la seule chose qu’il lui restait à faire. Il avait échoué avant même d’avoir commencé. Risible. Et voilà maintenant que Lukas se levait et qu’il se sentait à nouveau effrayé comme un gamin sans défense, laissé seul avec son bourreau. Cette arme était inutile, elle ne le faisait pas sentir plus fort, plus dangereux ou plus sûr. Ces yeux dardés sur lui le glaçaient jusqu’à la moelle, il frissonna presque, pris d’une nausée d’angoisse.

Le blond n’allait pas le rater, pas besoin de se le faire dire par le concerné. Il sentit ses muscles se tendre, il devait prendre la fuite. Quelle image ce serait. Lui qui était venu gonflé à bloc, qui repartirait en courant de ce bureau un peu trop bien isolé. Mais même cela, il n’en était pas capable. On aurait dit que ses deux pieds s’enfonçaient dans le plancher comme dans du goudron, pas moyen de reculer, de s’échapper. Il le voyait contourner son bureau pour se diriger vers lui. Il le garda en joue, presque juste pour l’esthétisme. Mais même lorsque Lukas se retrouva à bout portant, le rapport de force ne changeait pas. Il était toujours plus faible, le plus discret, malgré ses prétentions éphémères. Son souffle s’échappa de sa gorge, ayant plus le sens de la survie que le reste de son corps lorsqu’une main d’une force insoupçonnée vint agripper son col. Il osa à peine déglutir. Un seul mouvement, et la furie de son frère adoptif pouvait déferler sur lui. Il ne devait pas lâcher son arme, son dernier moyen de défense, il ne devait pas lâcher. Mais à la seconde où l’ordre de son frère claqua dans l’air, l’arme lui échappa des mains. Il l’avait lâchée, comme il lui avait dit. Le bruit du métal et du plastique le fit tressaillir. Là, il se rendit compte qu’il était réellement, comme on lui avait dit, une pathétique excuse pour un être humain. Il jouait les héros et à la seconde qu’on le menaçait, voilà qu’il obéissait comme un chien bien dressé.

Il baissa les mains, et les yeux, voyant qu’il avait réellement lâché sans y penser même. Un juron s’étrangla entre ses dents qu’il serrait. Et maintenant quoi? Qu’est-ce qui se passait? Il avait essayé et échoué lamentablement, comme à son habitude. Dans le fond, Lukas avait probablement raison. Il n’arriverait à rien dans la vie. Il n’était même pas capable de défendre quelqu’un qui lui cher. Pitoyable, risible. Qu’est-ce qu’il lui restait maintenant? Secouer tristement la tête en posant des questions auxquelles il ne répondrait pas. « Pourquoi tu lui as fait ça? Elle ne t’a rien fait, elle. », fut ce qu’il choisit finalement. Comme si Lukas allait choisir de lui répondre maintenant. Il était chanceux s’il ne faisait que le bouter en dehors de son bureau sans trop l’amocher. Il baissa les yeux, tentant clairement de garder son expression neutre, mais toute cette colère qu’il avait contre lui-même, contre ce frère cruel finissait bien par transparaitre. Pourquoi avait-il lâché le fusil si vite? Pourquoi n’avait-il pas résisté un peu? Quel flanc-mou ridicule, terrifié et inutile. Ce n’était pas une surprise qu’Aimee ne voulait pas de son aide. Son aide ne valait rien. Il ne pouvait pas se défendre lui-même. Comment aurait-il pu la défendre elle. Il attendait carrément son sort, la punition pour avoir tenté d’exprimer son désaccord. Il était carrément bien dressé, ouais, risiblement…

Le bruit de l'arme contre le plancher fut celui qui lui indiqua la faiblesse dont faisait preuve Connor. Un rictus de sourire méprisant gagna le coin de ses lèvres, plantant son regard froid dans celui du plus jeune tout en sachant pertinemment qu'il comprendrait ce qu'il pensait de lui pour le lui avoir répété des millions de fois. Du bout de sa chaussure, Lukas trouva l'objet qui jonchait le sol et le poussa sous son bureau pour l'envoyer hors de portée. Il doutait que cet imbécile soit apte à lui faire du mal mais il préférait ne pas prendre de chance en laissant un flingue chargé traîner délibérément dans les parages. « Pourquoi tu lui as fait ça? Elle ne t’a rien fait, elle. » Pourquoi toujours la même question ? Espérait-il vraiment qu'il y avait une réponse plus précise que ce dont il devait déjà se douter ? Ses cadets étaient envahissants. Il les détestait tous les trois, énormément. La raison était aussi simple que ça et le blond se contentait de leur témoigner à sa façon. Il n'avait pas à justifier ses gestes, surtout pas au brun. « Pourquoi tu ne commences pas plutôt par te défendre toi-même avant de voler au secours des autres ? » La question n'était pas bête. Le plus jeune continuait de penser à la cadette alors que la situation ne s'y prêtait pas tellement. Elle ne s'y prêterait jamais. Lukas tolérait mal que l'on vienne jouer dans ses plats de bande, qu'on lui pose des questions et essaie de le remettre en question. Ses façons de faire étaient les siennes et lui allaient à ravir.

D'un mouvement brusque, Bang envoya le dos de son frère se heurter contre la porte close du bureau, ne ménageant pas ses forces quitte à même se fouler un muscle lui-même. Sa poigne n'abandonna pas le col du plus jeune pour autant, affectionnant cette prise de pouvoir qu'il exerçait sur lui de cette manière. « Je n'aime pas qu'on me dérange. » Avec un peu de chance, le cerveau de noix de l'autre jeune homme finirait par assimiler cette information et il ne ferait plus jamais l'erreur de venir poser le pied dans les parages. N'avait-il donc pas encore compris qu'il avait plus de chances de terminer sa journée indemne s'il gardait de bonnes distances avec son aîné ? Visiblement, non, et Lukas se ferait un plaisir de lui remémorer de se tenir à carreau quand il était là. Qu'on ne remettait pas ses gestes ou paroles en question. Le blond poussa un soupire énervé, claquant ensuite la langue contre son palais et garda son regard fixé sur son frère. Le maintenant fermement contre la porte, Lukas lui cracha délibérément au visage avant de lui faire un croche-pied surprise pour le renverser, le relâchant pour le laisser tomber sans le retenir. À peine ses derniers gestes posés, l'aîné fit quelques pas pour instaurer une distance entre eux, n'ayant nullement l'envie de rester proche de cet être minable plus longtemps et le jugea avec une once de pitié mélangée à du dégoût. « J'espère que la prochaine fois, tu t'en souviendras. »

L’arme venait de lui échapper totalement, poussé hors de sa portée par le pied de son aîné sans aucune difficulté. Il avait abandonné, lâché, par réflexe, comme il faisait toujours. Évidemment Lukas ne répondit pas à sa question, en fait il ne l’avait pas posé en voulant réellement savoir la réponse. Il la connaissait déjà la raison de ses actions, la haine pure et simple. Il faisait simplement ça pour la détruire. Il n’arrivait tout simplement pas à se faire à l’idée que l’on puisse penser ainsi. La seule chose qu’il reçut en réponse fut une autre question. Pourquoi ne pas se défendre, au lieu de jouer les héros? De toute façon, il échouait aux deux. Il aurait été plus logique de sauver sa peau. Il ne pouvait aider qui que ce soit si jamais quelque chose lui arrivait. Mais même à cela, se défendre n’avait jamais été dans ses stratégies. Il ne le méritait pas. Il n’en valait pas la peine. Connor n’était pas imperméable à ce qu’on lui disait depuis maintenant des années, il ne se faisait pas d’illusion. Ce n’était que de l’égoïsme en fait. Qu’espérait-il? Se faire aimer? Se faire croire qu’il valait quelque chose? Aucune idée, mais il n’était pas mieux que personne… Peut-être à part Lukas. Le brun garda le silence.

Il s’attendait un peu toujours à ce que son frère adoptif le frappe, mais quand, ça, personne ne pouvait le prévoir. Si bien qu’il fut surpris lorsque son dos rencontra durement la porte par laquelle était entré. La poignée qui alla le loger à côté de sa colonne vertébrale lui arracha un piaillement de douleur aigu. Il n’osa pas bouger, la poigne du blond encore bien solide sur son col alors que lui relevait la tête, les traits crispés. Il n’aimait pas être dérangé, ça il avait bien cru comprendre. Mais dans un cas comme cela, il n’avait pas grand-chose à faire du confort de Lukas. Même le sien lui importait plus, et avec raison. Il pensait que ce serait tout, il gardait obstinément le silence, ne faisant pas exprès de le provoquer. Même à cela, il se trompait. Ce crachat dans son visage le dégoûta totalement, le mépris avec lequel il était traité lui noua le ventre et lui donna presque les larmes aux yeux. Peut-être que cette dernière sensation était due à la douleur dans son dos. Son seuil de résistance était resté anormalement bas malgré tout. Il n’eut pas le temps de réagir avant que ses genoux flanchent suite à un coup. Le trésorier s’étala comme une crêpe sur le plancher. Il sentait encore l’humiliante humidité juste en-dessous de son œil alors qu’il restait encore sonné au sol.

La prochaine fois, il s’en souviendrait, probablement. Il avait toujours été facile à faire obéir. La seule occasion qu’il avait eu de s’assurer qu’il n’y ait pas de prochaine fois venait de disparaitre sous le bureau du futur chef de la famillia. Que ce passait-il maintenant? Allait-il faire comme toujours? Se relever, épousseter un peu son chandail et partir sans demander son reste? C’était la routine. Mais la routine, c’était avant d’avoir compris à quel monstre il avait affaire. Il avait toujours courbé l’échine et enduré en pensant que ce serait mieux pour tout le monde. S’était-il trompé tout ce temps? S’aidant de ses avant-bras il commença à se relever. Même lui, même lui ne méritait pas un tel traitement, personne ne le méritait. C’était stupide, incroyablement stupide, mais il le fit. Se relevant comme s’il allait partir, il resta et essuya le crachat avec un dégoût presque coupable. Il devait faire quelque chose, il ne pouvait pas le laisser faire ce qu’il voulait. Il ne s’était jamais battu, il savait à peine comment faire. Ses parents n’avaient jamais investi un tel entraînement pour lui, et avec raison, mais il tenta tout de même, stupidement. Il tenta de le frapper, plein de détermination farouche, mais sans talent. À la seconde où son poing partit vers lui, il eut le sentiment qu’il l’avait manqué en partant.