« Pensez-vous, parce que je suis pauvre, obscure, quelconque et menue, que je n’ai ni âme ni cœur ? »

« Que penses-tu de mon ventre, mon ange ? » « Il est rond, plein… et lumineux même la nuit ! » « Comme la lune, alors. » « Comme la lune. » j’acquiesçai d’un sourire complice, dévoilant une dentition partielle où le manque de matière sautait aux yeux. Maman me répondit de sa chaleur coutumière, son expression radieuse éradiquant le moindre soupçon d’un brouillard précoce, qu’avec lui s’accompagnerait pluie et orage. Nous ignorions l’étendu de notre malheur, profitions de nos derniers instants d’un bonheur frugal ; et, tristement, nous délaissions d’un passé rassurant, empruntant les sentiers sinueux d’un avenir traître. Je n’avais alors que six ans lorsque l’impensable se produisit. Maman portait la vie pour le huitième mois consécutif, notre famille arborait une union indestructible et un maillon neuf se proposait de venir renforcer cette image. Que demander de mieux ? Rien. Toutefois fidèle à sa réputation, le bonheur nous livra aux mains calleuses d’une vieille ennemie : désolation.
Je me souviens de ces cris d’insoutenable souffrance, transcendant la quiétude de la demeure familiale, doublant d’intensité à chaque nouvelle crise. Enfermée dans ma chambre par la bonne, j’hurlai pour qu’on m’ouvre, je frappais, impuissante, contre ma porte afin qu’un esprit bien-pensant me sorte de ma prison. On me livra sans concession à l’angoisse tandis que s’alarmaient les trois âmes présentes à ce moment-là. Je me bouchais les oreilles dans l’espoir vain d’atténuer la portée des élans sinistres que la voix de ma mère faisait voyager jusque ma chambre. Des torrents de larmes achevèrent leurs courses sur la moquette cette après-midi-là, tandis que le vrombissement de la voiture, de plus en plus lointain, annonçait la venue d’un nouveau calme. Le fantôme d’une agitation récente hantait encore les lieux, alors qu’on s’empressait de venir me pêcher, me rassurer, et sécher mes larmes.
Plusieurs heures plus tard, un coup de téléphone confirma les rumeurs : jin woo ne verrait jamais le jour, ne respirerait pas notre air et ses babillements ne nous accompagneraient qu’en fantasmes.

13 ANS PLUS TARD.
Il n’est pas rare qu’on me demande si je me sens bien, comme l’homme assis près de moi dans le métro. Sa physionomie indique qu’il est inquiet, il me regarde, grave, pourtant je ne l’ai jamais rencontré auparavant. Ni sa voix, ni son visage ne me sont familiers. Je réponds positif, tourne la tête en direction de la fenêtre, fuis toute conversation anodine. Contrairement aux idées reçues, je me porte plutôt bien ! L’expression maussade de mon visage agite souvent mon entourage, j’ai l’air pensive voir absente. En outre, je ne suis ni hautaine, ni indifférente ; j’ai une personnalité accessible, même courtoise, par contre je n’autorise pas la majorité du commun des mortels à fourrager à travers ma vie privée. Pour tout dire, je passe le plus clair de mon temps à organiser ma vie par l’intermédiaire de rares temps libre. Mon emploi du temps est extrêmement chargé depuis quelques semaines ; entre cours, travail, les visites régulières au centre psychiatrique, et finir en beauté par une activité tout à fait illégale, et dangereuse. Je sais d’avance que mon entourage me rirait au nez si je leur annonçais que je soignais les germes contaminé saturant l’air de notre capitale. Moi, pauvre âme fluette et brisée par le destin. J’avoue avoir peur, j’admets parfaitement prier un dieu auquel je ne crois pas – sacrilège pour un esprit cartésien comme le mien, lorsque la situation s’envenime. Pour information, je n’ai aucuns préjugés envers ces hommes d’armes, et quand bien même sont-ils pervertis jusqu’à la moelle ; je ne soigne pas l’âme mais le corps. Encore ce soir, je cours rejoindre mon géniteur au cœur de ruelles malfamées, prévenir d’éventuels accidents. Généralement, on nous incombe de petites missions, rien d’extrêmes – une des directives de mon médecin de père. Tout ça pour quoi ? Ma mère. Ou plutôt l’argent. Depuis le décès de mon fœtus de frère, et l’annonce de sa stérilité précoce, elle n’a plus été la même. Dépressive, suicidaire, elle n’a pas hésité à flirter ouvertement avec la mort, oubliant jusqu’à l’existence de sa propre fille. Je ne lui en veux pas, car je sais tout l’amour qu’elle a éprouvé à mon égard et qu’elle n’aurait pas rendu les armes si hâtivement si on lui avait donné la chance de préparer le terrain ! Plus friable que l’esprit humain n’existe pas, malheureusement, mes études d’infirmière me le confirment.