je devais avoir trois ans lorsque la question avait fusée vers mon père. l'interrogation pouvait sans doute sembler triste aux premiers abords, mais je l'avais à l'époque posée avec toute ma naïveté de gosse : après tout, peut-être étais-je une exception, peut-être à la limite n'étais-je même pas humain... oui bon, le pire dans tout ça est sans doute que cette douce innocence ne m'a jamais vraiment quitté, je gobe à peu près tout ce qu'on me dit, tant que ça demeure dans la mesure du réaliste. j'ai d'ailleurs cru mon paternel sans demander de plus amples précisions lorsqu'il m'affirma que ma mère était décédée des suites d'un accident fort violent. c'était faux, bien sûr, mais comment expliquer à un bambin que celle qui l'a mis au monde est partie quelques mois après sa naissance, refusant d'assumer le rôle maternel ? enfin, comment le lui expliquer sans que son enfance entière ne devienne une énorme culpabilité d'avoir été la cause de la fuite de maman ? je n'ai eu la véritable version des faits que de nombreuses années plus tard, et bien que j'en pleurai des jours entiers, j'étais assez vieux pour comprendre que ma génitrice était la seule responsable de son départ. dès lors, mon père m'apparut encore plus courageux, plus fort que je ne l'avais jamais vu : en plus d'assurer son rôle de père de famille, il avait du pallier le vide créé par l'absence de ma mère, tout ça en menant une brillante carrière. oui, mon paternel devint mon idole dès l'instant où je réalisai la tâche ardue qu'était être lui, et je me promis de tout faire pour qu'il soit fier de son fils.

au tour de mon père d'avaler ce que je lui disais. j'en étais au début de mon adolescence cette fois, douze ou treize ans si mes souvenirs sont exacts... quoique bon, ce mensonge, je le prononçai tant de fois qu'il m'est impossible d'y accrocher une époque précise. enfin, tout ça pour dire que non, rien n'allait : dès que mon père avait terminé de me relater sa journée, je m'enfermais dans ma chambre et je pleurais. je pleurais silencieusement, de longues minutes durant parce que pleurer, c'est en quelque sorte ma façon de passer tout ce qu'il y a de négatif dans ma vie, de canaliser ce que je ressens. je pleure toujours, pour rien la plupart du souvent. chaque détail frustrant, chaque parole agressive, chaque revers que j'essuie a le pouvoir de me faire monter les larmes aux yeux. dans ces temps-là, je pleurais majoritairement parce que les gens ne m'aimaient pas, à l'école. les gens étaient terriblement cruels envers moi, j'étais leur tête de turc officielle, celle qui subissait sans rien dire. car oui, si j'ai l'habitude d'être fort volubile, je suis incapable de prononcer quoi que ce soit lorsqu'on m'attaque. ainsi, j'encaissais tous les coups sans piper mot ; les « tapette », « pédé », « mangeur de bite » pleuvaient sur moi sans recevoir de réponse ; je baissais docilement les yeux lorsqu'on s'en prenait à moi, et le soir, je déversais ce torrent de douleur la tête enfouie dans mon oreiller. j'avais mal, évidemment que j'avais mal... et pourtant, chaque matin, je me jetais tête première dans le combat dans l'espoir que la journée qui suivrait serait peut-être plus paisible, plus douce que la précédente, je me relevais parce que je voulais être un combattant, tout comme mon père, et que les combattants n'abandonnent pas.

seize ans, le vingt-deux octobre deux mille huit. le premier amour, si c'est pas mignon. prononcer ces trois mots me faisait tout bizarre ; je ne les adressais pratiquement jamais à qui que ce soit, comme ils m'étaient bien rarement destinés. enfin, pas que je n'aimais personne, j'adorais tout autant mon père, mais voilà... lui et moi, on était pas très doués pour exprimer ce genre de choses, alors on ne le faisait tout bonnement pas oralement. bref, ce fameux premier amour, c'était une fille et, sans être physiquement attiré par elle, je l'aimais réellement. bien sûr, j'avais déjà compris que j'étais homosexuel, mais comprendre et accepter sont deux étapes très distinctes et, la faute à mes sympathiques camarades de classe, je peinais horriblement à franchir la deuxième. cette première flamme fut ainsi une tentative de persuasion - la seule, heureusement - envers ma propre personne, mon subconscient tentant vilement de me convaincre que je n'aimais pas les hommes, ou, qu'à la limite, je pouvais aussi aimer les femmes. le subterfuge ne fut pas efficace bien longtemps, et c'est elle-même qui en prit conscience alors que je ne lui en avait toujours pas parlé, peu désireux de lui faire du mal. ah, rendre les gens tristes, c'est bien l'une des pires choses qu'on puisse me faire subir : je préfère m'enliser dans un tas de mensonges plutôt que de les blesser. bref, notre relation s'acheva sans larmes ni cris, et nous restâmes de bon amis. deux ans plus tard, j'avouais mon orientation sexuelle à mon père. il savait, évidemment, mais me pria de ne rien dévoiler lorsque j'allais intégrer le poste de police après mes études, ça risquait de nuire à sa réputation... respectant ma promesse, je tente toujours tant bien que mal de garder le secret, mais voilà, vu mes nombreuses manières, je suis persuadé que ça crève carrément les yeux...

et finalement, cette phrase prononcée il y a de ça à peine quelques mois, adressée à ce policier qui me sert de mentor. heath, liang heath. il ne parle pas beaucoup heath, et quand il le fait, il est loin d'être le plus sympathique des mecs... mais pourtant, je l'aime bien, voire beaucoup, sans doute pour ça d'ailleurs. il incarne à mes yeux tout ce que je souhaiterais tant être : beau, fort, imperturbable, loyal, bref, c'est le modèle idéal et je me réjouis de l'avoir comme guide, peut-être un peu trop même... enfin, peut-être que grâce à lui, je deviendrai le policier que mon père a toujours voulu que je sois, peut-être que j'arriverai à laisser ma trace moi aussi et surtout, à ne plus me laisser berner par tous les criminels que je rencontre. disons que... j'ai encore du mal avec mon travail, mais ça passera, non ? il suffit que j'apprenne à faire preuve d'un peu plus de fermeté, et vite, parce que mes collègues en ont un peu marre que je nous mette tous dans l'embarras et rejettent un peu tout sur moi... mais bon, avec mon hea... avec heath, j'y arriverai, je le sais !